lundi 11 novembre 2019

Le champ de blé

Les nuées d'oiseaux rieurs font la bombe
Entre les arbres, dans le soir qui tombe
Les blés allument les champs de leurs feux
Éternel retour, vie renouvelée,
Consolation d'une peur passée,
Quand reviennent à l'esprit les aïeux.

Les épis dorés dansent de conserve,
Un oiseau ambiance de sa verve
La campagne refusant le sommeil.
Le soleil triomphant descend en flamme,
Brûlant la rétine comme mon âme,
Le ciel revêt son manteau de vermeil.

Je soutiens le défi de la lumière,
Décidé, je fais face l'âme fière.
Les fauves devant moi ondulent sûrs
Taches flamboyantes d'or et de rouge,
Le péril bien vivant dans l'ombre bouge,
Je marche dans un présent sans futur.

Le vert exubérant des herbes folles,
Théâtre des batailles picrocoles
Entre les insectes et les rongeurs,
Est l'écrin où l'infini se consume,
Résigné mais sans la moindre amertume
Pris au piège d'une douce chaleur.

Le paysage demeure immuable
Sauvage, labouré, domesticable
Toujours autre, toujours renouvelé,
Ici je ressens l'absolue présence
Du temps qui passe, son évanescence,
Un lapin cours dans le champ affolé.

Le doux feulement du vent dans les arbres
Accompagne les intenses palabres
D'une nuée d'insectes butineurs,
Effleurant mes cas d’inconscience,
Avec un art virant à la science.
Le goût de vivre passe par les fleurs.

Je m’allonge sur un lit de feuillage
En quête de je ne sais quel présage.
Les épis ploient sous la brise d’été,
Pris dans le reflux de vagues altières,
Je devine l’écho de la matière,
Raisonnant dans mon esprit hébété.

Je sens un goût de terre dans la bouche, 
Ressens la pulsation qui me bouche 
La vue, le cœur serré, au bord des yeux.
Je m’abandonne au disque solitaire, 
Perdu dans une langueur solidaire 
Et nous ne faisons plus qu’un à nous deux.

Je me baigne dans l'air du temps qui change,
Débout au milieu de la vie étrange.
L'abandon vaporeux de mon vouloir,
Une fois abandonné l'artifice,
Me conduit contrit devant la justice
Bien des années avant le dernier soir.

Le sucre de l’amertume m’innerve,
Le presque rien m’accueille sans réserve,
Rien ne sert à rien et tout est égal,
Le moi poli se trempe dans l’étrange,
Langueur résignée, que plus rien ne change,
Le soleil fait d’un fruit mur son régal.

Je me connecte aux forces telluriques
Provenant des éléments archaïques,
Sur leurs fronts scintille un pur diamant.
Un trait d’union entre ciel et terre,
Dur tel l’acier, fragile tel le verre,
M’apparaît enfin encore fumant.

Si loin, pourtant si proches sont les hommes
De tous temps résignés, bêtes de somme,
Au loin le cliquetis sourd d’un moteur,
Les éléments résistent, se refusent,
Nature, les seigneurs et maîtres rusent
Ils pensent te vaincre par leur labeur.

Pieds profondément ancrés dans la terre,
Je respire comme les vieilles pierres,
Soudain avare de mes mouvements.
Se chosifier pour mieux disparaître,
Tentation qui ne peut me repaître,
Je connais trop le goût du changement.

La terre blanche, aridité calcaire,
Qu’il est difficile de m’en abstraire,
Recouvre d'un voile mystérieux
Le sol traversé par ses cicatrices.
Les vicissitudes réparatrices
Sont bien souvent un baume doucereux.

Un brûlot crépite, sa fumée noire,
La fraîcheur se laisse doucement boire,
Un jour fine poussière également,
Un jour quand la vie sera consumée,
J'aspire la campagne parfumée,
Il n'est pas venu le temps du tourment.

Il est grand temps de briser ma statue,
La marche toujours, frénésie têtue,
Fier zélote converti bien avant
Les fausses croyances inexpressives.
La nuit approche, torpeur progressive,
Quand triomphe implacable le vivant.

Il est grand temps de reprendre la route
Le corps parle, le ciel de soie écoute,
Le nez au vent, bravache face au ciel,
Je me fonds dans cette espèce d'espace,
Au sol tombe une lourde carapace,
Pays ruisselant de lait et de miel.

Je bois les blés blonds, douce chevelure,
Je noie mon bleu dans un ciel d'aventure,
Devenu le comparse du soleil
La course accélère devenue ivre,
Le tumulte vient, un lien délivre,
Dans un silence à nul autre pareil.

Provenant des entrailles retournées, 
Dérisoires mémoires dessinées,
Les joies fossiles des premiers matins
Affleurent en surface anachroniques,
Formes dansantes, cercles concentriques
Souvenirs du temps sans cesse assassin.

Dans les tréfonds se cache le mystère,
De l’émotion libre qui libère,
L’âme rompue par son mol mouvement.
Les insectes pris dans la sécheresse,
Susurrent les secrets de la paresse,
La plaine se prépare au firmament.

La pénombre illumine le mystère,
Je rentre dans une nouvelle sphère,
Dans ce bref moment entre chien et loup,
La nuit est prête à tomber sur le monde,
Recouvrant tout d’une humeur vagabonde,
Passé, futur ne comptent plus beaucoup.

J’accepte sans violence ni haine,
Le ticket périmé, la fin prochaine,
Tout passe, lasse à part le souvenir,
Rien ne sert de renier l’ineffable,
Rien, car la trace demeure effaçable.
Alors marche serein pour advenir.

Les étoiles fleurissent lentement,
Les arbres se remplissent du moment,
Flotte un parfum d’herbe coupée dans l’air,
Enfin, s’effacent toutes les contraintes.
Enfin, disparaissent toutes les craintes.
Il ne reste qu’à goûter le ciel clair.

La nuit s'abat peu à peu sur le monde,
Dans mes veines s'écoulent les secondes,
Alimentant mon corps d'un nouveau feu.
Les murmures de la vie désirée
Libèrent la pensée aliénée,
J'ai décidé de vivre, avant l'adieu !

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